A Blaison le 9 vendémiaire l’an III de la République une et indivisible
Le citoyen Louis Joseph Malécot officier municipal et notaire public de la commune de Blaison
aux citoyens administrateurs du district d’Angers
Citoyens,
Je vais satisfaire à votre avis et proclamation du vingt deux de fructidor concernant les détenteurs de biens d’émigrés déportés ou condamnés à mort vous jugerez dans votre sagesse si je dois cette déclaration qui sera plus pénible pour moi que l’objet n’en peut être lucratif ; il faut que je sois prolixe, pour dire la vérité et me soulager du poids de la douleur qui m’accable. Mon frère fut coupable jugé.
Jean-Baptiste Malécot mon père eut de son mariage avec Marie Frémantier trois enfants : Jean-Baptiste Malécot né le 22 février 1730 mort à Laval le 27 messidor dernier m’a-t-on dit,
Marie-Cécile Malécot née en 1731 ou 2732 morte au mois d’octobre 1784
Et moi né le 3 mars 1733
Du chef de notre mère, un oncle Louis Toussaint Frémantier notaire à Grézillé mourut sans hoir en 1760
Ma tante Jaquine Frémantier célibataire mourut chez moi en l’année 1772
Toutes ces successions n’enflèrent pas la fortune de mon frère, de ma sœur et de moi (probitas laudatur et alget)
Mon père ne négligeant point notre éducation malgré qu’il n’ait qu’une charge de notaire pour vivre, il plaça en 1750 mon frère à Paris pour apprendre la géométrie et le dessin et le faire entrer ingénieur à l’Observatoire vers la fin de 1751. Cette éducation disproportionnée à notre fortune ne fut pas inutile ; elle assura celle de mon frère dans une place honnête et en 1759 il fut ingénieur du bureau de la guerre à Versailles de sorte que sa situation le mit toujours dans le cas de me laisser le peu que nous laissa notre père mort le 22 février 1762 (notre mère était morte dès 1738 ou 1739).
En 1773 mon frère fit un mariage à Château-Gontier qui le mit plus que jamais dans le cas de se souvenir combien son éducation avait pris sur notre petite fortune et il n’y pensa plus. En 1781 Marthe-Olive Gallais sa femme et lui se firent don mutuel par acte devant le ? Noël notaire à Château-Gontier ; je me souviens d’avoir vu cet acte et je le crois inattaquable.
A la même époque à peu près le deux novembre 1781 mon frère me présenta les partages de toutes les successions cy-dessus, oncle tante et sœur, il mit au premier lot 2600 livres pour la moitié du mobilier, 6000 livres pour l’immobilier avec deux quartiers et demi de vigne avec six boisselées et demi de terre et un quart de quartier de bois, le surplus fut placé au second lot que j’optai. Cet acte est sous seing privé.
Le sept janvier 1783 l’épouse de mon frère et sous son autorisation me fit donation éventuelle du don mutuel qu’elle et son mari s’étaient faits ; de sorte que ou la veuve de mon frère ou moi avons le tiers des deux quartiers de vigne, six boisselées et demi de terre et quart de quartier de bois porté en son lot du partage cy-dessus daté.
Il ne fut pas donné à mon frère d’être toujours heureux avec son épouse, il songea à s’en séparer et à venir demeurer avec moi. Il vieillissait et son âge ne lui permettait plus l’espoir de gagner sa vie aussi honorablement qu’il l’avait fait dans sa jeunesse.
Par acte devant Chaillou notaire à Grézillé nous avons viagé la succession de mon oncle Frémantier pour une pension viagère réversible sur la tête du survivant.
Il me proposa en 1786 de viager d’autres biens notament la maison que j’occupe ici et que par acte devant Ogereau du 12 juin 1786 nous donnâmes aux citoyens Petit et fils dits Blaison moyennant l’usufruit réservé au survivant et deux cents livres de pension viagère aussi réversible au survivant ; le même jour et par acte devant ce même notaire nous donnâmes au citoyen René Charles Louet une rente de 12 boisseaux de seigle pour 52 livres de rente viagère aussi réversible sur la tête du dernier survivant de nous deux.
Enfin en 1788 les orages se grossirent entre mon frère et sa femme qui l’attaqua en séparation ; elle fut déboutée de sa demande par jugement du tribunal lors séant à Château-Gontier mais cette sentence ne remit pas le calme dans ce ménage ; mon frère songea très sérieusement à quitter sa femme, pour venir demeurer avec moi ; il me vendit par acte sous seing privé du commencement de 1788 les biens compris en son lot, moyennant une somme de deux mille livres et à la charge que je viagerai sur nos deux testes un bien compris en mon lot sis à la Ménitré commune des Roziers ce que je fis en effet par acte devant Robert notaire à la Ménitré du 30 décembre 1789 ; ce fait est si vrai que mon frère a touché le second terme de cette rente viagère réversible sur la teste du survivant et en a donné acquit.
J’ai perdu cet acte de vente, citoyens administrateurs, et il est tombé avec tous les titres de propriété du pauvre reste des biens de mes pères entre les mains des brigands lorsqu’ils me pillèrent le 4 septembre 1793, outre les titres cy-dessus référés, ils ne m’ont laissé que mon extrait d’âge, car ils ont emporté ou bruslé jusqu’à mes lettres de licences et de cy-devant avocat au cy-devant Parlement de Paris.
Voilà citoyens administrateurs la confession d’un homme qui fut républicain avant la Révolution et que la mort n’intimiderait pas pour en professer ses sentiments ; que si mon assertion ne suffit pas pour être envoïé en possession des biens de mon frère compris en son lot de nos partages cy-dessus cités, je demandrai alors au nom de sa veuve qu’il m’en fut délivré un tiers pour appuïer l’affirmation que je fais qu’il m’avait en effet venu aux charges de viager sur nos deux têtes, pourquoi aurais-je vendu sur sa tête et la mienne douze boisseaux de seigle pour 52 livres de rente sur deux têtes tandis que ces biens étaient sur mon lot, et que j’en aurais tiré une pension bien plus conséquente sur ma tête seule.
Ce considéré, citoyens administrateurs, il vous plaise dire et ordonner que je serai maintenu et gardé en la libre propriété et possession des biens par moi déclarés sur les communes de leurs assiettes en 1790 comme les aïant acquis de Jean-Baptiste Malécot mon frère, encore que je ne pusse représenter le titre qui a été incendié ou emporté de chez moi par les brigands sur l’affirmation que j’en fais ici, et dont je fournis la semi preuve par les deux actes cy-dessus énoncés et férés justice.
Par arrêté du district du 1er Brumaire renvoïé à moi pour
1er déclarer en détail l’état des biens dont je demande être déclaré seul possesseur et détenteur
2e d’indiquer le nom des communes de la situation des biens
3e de produire les partages et autres titres à l’appui de ma demande et relatif à mon exposé.
Odile Ozange